lundi 26 juin 2017

Karim Akouche : La religion de ma mère

Page de couverture
Dans ce roman étourdissant, la partition est accompagnée d’une musique rythmée et tournoyante comme au son des tambourins.Les sens en éveil, on entend alors chanter les mots. Et on n’écoute d’autre prédicateur que le temps, la mémoire et la terre.

La religion de ma mère est une composition littéraire tumultueuse.Cela évoque le bouillonnement d’une source, ou encore un torrent impétueux et rapide.Karim Akouche a un style d’écriture clair, pur, avec des mots simples et concrets.

Un style rythmé, incisif.Les phrases (et même les chapitres) sont courtes et concises.Quant à la prose de l’auteur, elle est vigoureuse, souple, mesurée, impulsée par une rythmique proche de la poésie.Cette richesse reflète la sensibilité particulière de l’écrivain à l’égard du langage.C’est surtout sa manière d’exprimer sa pensée, des émotions, des images, des idées...L’art étant le Je, Karim Akouche a le don de libérer sa créativité : il laisse libre cours à son tempérament personnel et s’exprime avec sa propre voix. Dans La religion de ma mère, il fait naturellement jaillir les pluies de printemps (les mots) et il fait parler la voix du cœur.

Le roman est très agréable à lire.Esthétiquement, il est même une réussite, tant l’auteur sait construire un langage dans le langage, humaniser son texte et écrire très lisible.Karim Akouche confirme qu’il ne manque pas de punch.
Et pour mieux dire les mystères de la vie et faire réfléchir sur l’énigme de l’homme et du monde, quoi de mieux qu’une œuvre romanesque percutante ?De l’amour, de la tendresse, de la violence, de la folie... Le tout subtilement canalisé.Il y a notamment le recours (retour) à l’enfance, ce qui permet à la mémoire d’affluer, de restituer des visages, des lieux, des odeurs... «L’enfance est un conte qui ne dure pas.La nuit, on le lit.Le jour, il se dissipe.Au crépuscule, il devient cendre et poussière», fait remarquer le narrateur.Le personnage central du récit a cet autre aphorisme : «La mort est un bateau ivre que tout le monde prendra.» Le lecteur a tout de suite une mine de chat devant un bol de lait.Son imagination s’emballe : et qui sont les passagers les plus importants du voyage, au cours de cette immersion houleuse dans une mer mémorielle ?Le lecteur commence à laper avec le sérieux de l’enfant qui joue. «Au pays de ma mère, tous les jours on est poète», rappelle le narrateur.Promesse que le roman sera un grand poème : «Maintenant que ma mère s’est tue, je fais le serment de graver sur sa tombe le plus beau de ses poèmes.» Bel hommage à celle qui disait des poèmes sans n’avoir jamais mis les pieds à l’école. Et toujours ces phrases courtes, actives : «Ma mère était une montagnarde.Elle façonnait l’argile.Elle en faisait des poteries.Je n’ai pas peur pour elle.Elle ne souffrira pas dans sa tombe.Elle est retournée à la terre qu’elle aimait tant.»

Karim Akouche cherche des émotions.Il est à l’écoute de ses sentiments, de ses inclinations altruistes.Mais il est aussi de tempérament artiste.Créateur d’images sonores, il aime par-dessus tout jouer avec le sens des mots.Il a le don de zigzaguer mentalement d’un domaine à un autre, de jongler avec la polysémie «subversive», les formules imagées et les figures de rhétorique innocentes mine de rien (analogies, métaphores, tropes...). Tout cela contribue à colorer et à «électriser» le texte, à mettre l’imagination du lecteur sur orbite. Exemple : «Les puits de pétrole fument dans le désert.Ils veillent sur la paix sociale.L’élite est éblouie par l’argent.Les commis de l’État sont dévorés par l’ambition.La jeunesse est bipolaire.Elle veut le voile et la nudité.Elle veut la cage et la liberté.Parfois elle est kebab, parfois elle est fast-food.Tantôt elle est Europe, tantôt elle est Orient.Roule, frangin ! Écrase la pédale !» La vie moderne, à l’algérienne.

Le lecteur a un peu le tournis.Il s’accroche.Il finit par s’accorder au rythme des mots.Ses sens sont éveillés, stimulés par le ton et la petite musique qui font un bon livre.La quatrième page de couverture donne déjà une vue d’ensemble qui fait ressortir le sens profond, la philosophie du roman. Voici ce résumé : «Exilé à Montréal, Mirak apprend la mort de sa mère qu’il n’a pas revue depuis longtemps et rentre en Algérie pour l’enterrement.Il traverse une dépossession au fur et à mesure qu’il croise les lieux et les visages de son enfance dans un pays méconnaissable où règnent l’absurde et le chaos.À travers la quête désespérée d’un passé révolu et la découverte d’un présent violent, le narrateur brosse l’émouvant portrait de sa mère et le confronte à l’égarement de son peuple.Alternant monologue et récit, Mirak interroge l’identité d’une nation fragmentée qui peine à se remettre d’une longue crise politique.La religion de ma mère est le roman de la désintégration de l’être humain.Après la disparition de sa mère, Mirak se décompose, son père devient fou, son frère se transforme en djihadiste... On se croirait dans un asile d’aliénés à ciel ouvert. Ce roman exprime on ne peut mieux la folie et la confusion de notre époque.»

Une allégorie de l’Algérie contemporaine.«Les mots s’enfuient comme des balles perdues.Ils s’éteignent dans le brouillard de ma tête», soliloquait le narrateur.Mirak (Karim ?) semble égaré, perdu dans le froid et la brume élégiaque de l’Occident.L’exilé est de retour dans son pays, mais personne ne le reconnaît plus... «Je suis incertain.Je flotte.Je viens d’un peuple mystérieux.Il refuse de mourir.Il vivote comme les oiseaux de passage.Il résiste aux tourbillons des légendes.L’histoire n’est pas l’alliée des vaincus.Elle est la concubine des puissants.» Oui, le monde ment et il n’est pas sérieux, nous dit Karim Akouche : «Il est ovale comme une pastèque pourrie.Telle une mouche, je vrombis autour.» A son tour, le lecteur est entraîné dans le tourbillon des mots.Il est rempli d’un singulier vertige...


Hocine Tamou, Le Soir d’Algérie, 17 juin 2017




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