jeudi 22 septembre 2016

Aziz Farès : L'encre des savants...

Photo Ici Radio-Canada
J’ai pensé un moment me trouver en terrain fort connu quand j’ai abordé le dernier livre, un essai, d’Aziz Farès. Le titre ? L'encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs. Il est publié aux éditions XYZ, à Montréal.

Ce livre est préfacé par Patrick Levy, écrivain français et spécialiste des religions, qui introduit le texte d’Aziz Farès par une série d’interrogations qui s’adressent à ceux-là même qui sèment la terreur au nom de la religion musulmane. 

Ces interrogations se retrouvent aussi au cœur du livre. Un exemple parmi d’autres : Dieu tout-puissant a-t-il besoin qu’on se batte pour lui ? Il n’y a pas de guerre qui soit sainte (…).Le Tout-puissant ne peut pas vouloir la guerre. Il n’en a pas besoin.

Aziz Farès traite de ces questions qui relèvent du bon sens et qui taraudent pourtant le monde dit musulman. En pédagogue et avec prudence pour ne pas choquer, le sujet étant encore sensible chez d’honnêtes croyants, l’auteur amène le lecteur à se retourner en lui-même et à s’approprier ces interrogations pour un appel à l’éveil de la compréhension.

Le livre est écrit dans un contexte québécois qui fait face, phénomène nouveau, à des dérives de radicalisation de quelques individus issus de l’immigration alors que le Québec et le Canada en général, demeurent des terres d’accueil et de tolérance. Et là, Aziz Farès ne va pas par quatre chemins : « il s’agit d’un combat qui doit être mené par tous les citoyens qui croient en la liberté. » C’est là, explique Aziz Farès, dans la protection des libertés fondamentales, que se situe « le nœud gordien qui paralyse les sociétés musulmanes enfermées dans une fausse certitude les empêchant de reconnaître à l’individu la pleine souveraineté de son libre arbitre ».

Fréquentant depuis de nombreuses années les spiritualités du monde, je partage avec Aziz Farès, l’idée d’un islam fondé sur la paix et l’élévation spirituelle.  

L’essai d’Aziz Farès se base sur des observations et des références solides dont il ne manque pas de les évoquer. Au moment où l’on parle de déradicalisation, Aziz Farès, avec le recul des années et l’expérience dont il dispose en tant que journaliste et observateur, demeure une voix à être entendue.

Pour aller plus loin :

dimanche 28 août 2016

Wahiba Khiari : Nos Silences

Photo Mediapart


Algérie, une douleur étymologique est inscrite dans ton génotype, ton nom en porte la trace comme une fatalité. Devrais-je t’écrire toujours et encore pour me rapprocher de toi, peut-être me faire pardonner de t’avoir un jour quittée ?

Wahiba Khiari, Nos Silences



Voici un livre qui remue avec sensibilité et rage sourde, le couteau dans la plaie de la décennie noire en Algérie.

Les histoires d’horreur de cette époque sortent peu à peu que ce soit à travers des témoignages, des récits ou des romans comme ce premier ouvrage de Wahiba Khiari Nos silences publié aux éditions elyzad, à Tunis, en 2009.

Wahiba Khiari a quitté l’Algérie à la fin des années 1990, pour travailler à Tunis avant de poser ses valises à Montréal. Mais elle revient sur les lieux de la tragédie pour nous montrer le visage hideux de cette guerre sans nom qui s’attaque surtout aux plus faibles et aux plus vulnérables, les femmes.

Couverture
Dans une sorte de dialogue intérieur où deux personnes se parlent et se confient, la première une rescapée ayant choisi de fuir le pays et la guerre, et la deuxième, la victime, condamnée à vivre parmi tous les loups, tous les bourreaux, ceux qui tuent et ceux qui se taisent. Toutes deux ont vécu l’ignominie dans leurs cœurs et leurs esprits, mais la dernière dans sa chair aussi.

Les deux protagonistes et narratrices nous renvoient dans les années de la violence et de la barbarie pour nous « rendre le rouge du sang » et « le noir de la nuit », évoquant le destin tragique de toutes ces filles, femmes avant l’heure, celles qui ont survécu au cauchemar et celles qui ont trépassées dans un tintamarre de silence des hommes.

Nos Silences est un roman écrit avec poésie, empreint de douceur et d’amertume, sobre mais efficace, il nous replonge au cœur de la disgrâce de l’humanité. 

C’est un très bon témoignage sur la tragédie des femmes dans cette terrible guerre civile; un témoignage qui dénonce toutes les complicités et les compromissions de l'HOMME. 

À lire et à faire lire.

S.  EKB

Pour aller plus loin :
Wahiba Khiari, ou l’assourdissant silence de la guerre, Leïla Slimani, Jeune Afrique, 2014. 
Nos silences de Wahiba Khiari, Mediapart, Fadéla Hebbadj, 2015

dimanche 14 août 2016

Salah Benlabed honoré

Une vue de la rencontre
Moment d’intense émotion cet après-midi au stand Algérie du Festival Orientalys à Montréal. Une rencontre avec Salah Benlabed a été  animée par Kemal Nouas, Idir Sadou et Salah Beddiari. L’un après l’autre, ils ont témoigné du travail accompli par Salah Benlabed et comment tout  a commencé à la Librairie Olivieri, à Côte des Neiges. Témoignage de Kemal Nouas qui a bien connu et côtoyé cet architecte des mots. Une rencontre entre amis autour d’un café. Une idée lancée en l’air. Écrire. Dire. Témoigner. Le défi a été relevé. Avec une écriture fine usant des mots qu’il faut, juste ce qu’il faut.

Salah Benlabed est-il un écrivain de l’exil ? C’est l’interrogation d’Idir Sadou dans un admirable et poignant témoignage, lui qui l’a connu voilà bien des années. Et, il lâche comme réponse : c’est un Humaniste ! Non seulement dans le sens de quelqu'un qui connaît et maîtrise les lettres mais aussi, celui qui connaît et est à l’écoute de l’homme, celui qui nous ressemble, notre semblable. En observateur averti, Salah Benlabed note tout. A tel point que l’on peut se retrouver dans tel personnage ou telle description. C’est le propre des grands écrivains de décrire la nature humaine.

Salah Benlabed a lu un poème à la fin de la rencontre. Un poème sur les amis. À l’instar de celles et ceux qui l’entouraient lors de ce bel après-midi de dimanche.

Zut ! J’ai oublié de prendre mon enregistreur ! Mais de mémoire, il s’agit de l’amitié. Celle qui demeure malgré les aléas de la vie et de et de l’éloignement du pays qui nous a vu naître.

J'y reviendrai, sans doute.
         



Les deuxièmes journées du livre de la diaspora algérienne à Montréal

Salah Benlabed
« Cet auteur modèle les phrases comme un orfèvre délicat, il entoure chaque personnage d'une aura fine d'allusions, d'images, [...] sa prose nous montre un visage qui révèle plutôt la tendresse cachée derrière le voile des traditions, parfois de l'obscurantisme. La vie de ses héros est morcelée par des guerres, par des complexes nationaux [...]. Benlabed se garde toutefois de tomber dans l'excès. Ses proses n'ont pas l'intention de tout dire, mais de lever un petit peu le voile qui couvre l'âme de ses personnages. »

Felicia Mihali, Terra Nova


Les deuxièmes journées du livre de la diaspora algérienne au Canada se tiennent cette année dans le cadre du Festival Orientalys du 11 au 14 août au Vieux-Port de Montréal. Quelques auteurs seront présents pour des dédicaces.

Le samedi, 13 août, de 17h-18h30 Salah Beddiari, écrivain et éditeur, donnera une conférence sur la présence des écrivains de la diaspora dans le paysage littéraire québécois et canadien.

Cette année, Salah Benlabed sera l’invité d’honneur de ces deuxièmes journées du livre de la diaspora algérienne au Canada. Une journée spéciale lui sera consacrée le dimanche 14 août, de 15h-17h.


Architecte lauréat d'un prix international, Salah Benlabed a enseigné l'architecture à l'Université d'Alger. Installé à Montréal depuis une quinzaine d'années, il est co-auteur d'un recueil de poèmes intitulé Quand la terre tremble, édité par le Centre culturel algérien ; il a participé au Festival arabe de Montréal par des conférences, des lectures de ses poésies et, en 2004, a monté un spectacle autour de Abû Nuwâs, poète de la transgression du Bagdad du VIIIe siècle. Depuis 2006, il a publié deux recueils de nouvelles et trois romans aux éditions de la Pleine Lune. En novembre 2009, la Fondation Club Avenir de Montréal lui a rendu hommage en lui décernant son Prix de la Contribution artistique hors du commun. Son premier roman Notes d'une musique ancienne, publié à Montréal en 2007 aux éditions de la Pleine Lune, est également paru en Algérie aux éditions APIC en avril 2010.

jeudi 11 août 2016

Mila Younes : La vie est nomade

Couverture
Après avoir publié Ma mère, ma fille, ma sœur (2004), Mila Younes poursuit son récit autobiographique avec Nomade, un autre pan de son vécu de femme assoiffée de liberté. Née à Paris en 1953, de parents algériens, Mila Younes arrive au Québec vingt-cinq ans plus tard. C’est sa vie nomade dans l’Est et dans l’Ouest du Canada que raconte Nomade.
Femme berbère, Mila Younes est loin d’être soumise aux valeurs traditionnelles qui relèguent les femmes à un rang subalterne, voire à une oppression institutionnalisée. Même si elle a accepté le mariage arrangé par ses parents, Mila s’est révoltée contre l’oppression de sa belle-mère, a quitté son mari et son fils, s’est mis à dos son père et, surtout, sa mère. Tout cela nous a été raconté dans Ma mère, ma fille, ma sœur.
Nomade commence avec l’arrivée de Mila a Québec en 1978. À partir de ce moment-là, elle s’embarque dans une remise en question et une réflexion sur son identité. Elle se demande si elle arrivera jamais à se soustraire aux traditions de ses racines berbères. Tout le livre est «un voyage sur une route déconcertante».
Mila Younes découvre le Québec sur le pouce, y rencontre Marc-Alexandre, l’épouse et met au monde une fille. Elle écrit pourtant que «les malheurs se sont succédés les uns après les autres depuis mon arrivée au Canada.» Peut-être est-elle trop fixée sur son arbre et incapable de voir la belle forêt qui l’entoure… Chose certaine, Mila Younes examine son vécu sous toutes ses facettes et nous en donne des descriptions détaillées, voire fastidieuses, qui rendent parfois la lecture de Nomade ennuyeuse.
Ce récit nous fait découvrir une femme qui a une immense soif de liberté. Mila affirme d’ailleurs qu’il lui est impossible de vivre mariée toute une vie avec la même personne. Femme qui refuse de vivre en circuit fermé, Mila cherche constamment à élargir ses horizons. Et c’est l’écriture qui lui sert d’exutoire. «Elle m’aide à percevoir le monde intérieur, à réfléchir et à regarder avec courage ce qui se manifeste.»
Je dois avouer que j’ai eu l’impression, au cours de ma lecture de Nomade, que Mila Younes avait une très (trop) haute estime de son vécu. Elle écrit moins pour réfléchir que pour s’assurer que personne ne changera son histoire et l’analyse qu’elle en fait.
Il n’en reste pas moins que ce témoignage vibrant de Mila Younes, nourri par la solidarité des gens qui croisent son chemin, trace les jalons d’une authentique recherche de liberté, la sienne et celle qu’elle souhaite pour tous les peuples. Mila Younes ose, elle apprend à vivre autrement que selon les diktats de sa culture d’origine et, tout en allant à la rencontre des peuples autochtones (côte Ouest du Canada), elle part en quête de son identité véritable.
* Cet article a été publié par Paul-François Sylvestre le 16 juin 2009 dans L'Express de Toronto.
Mila Younes, Nomade, suite de Ma mère, ma fille, ma sœur, récit autobiographique, Ottawa, Éditions David, 2008, 352 pages, 22,95 $.

mercredi 10 août 2016

Omar Arhab immortalise un village de Kabylie

Qui connaît Zountar en dehors de ceux qui y sont nés ? C’est, certes, un lieu, un village de Kabylie, dressé non loin d’une rivière qui prend le nom d'Akbou. Et c’est de ce lieu qu'Omar Arhab veut nous entretenir. Pour cela, il a délaissé pour un moment sa caméra pour saisir sa plume et sortir ce village de l’oubli.

À travers une fiction, mariant le rêve à la réalité, Omar Arhab nous présente des personnages du terroir sortis tout droit des contes de nos grands-mères. Il nous présente ainsi des fragments de vie qui tiennent plus de la légende et qui nous sont restitués par le miracle de l’écriture.

« Quand de mystérieux rêves viennent hanter les habitants d'un village kabyle, chacun ne manque pas de s'interroger sur les messages qu'ils recèlent. Positif ou négatif ? Tragédie annoncée ou signe de bienveillance ? Un événement qui devient, sous la plume d'O. Arhab, le prétexte pour croquer une galerie de personnages attachants, truculents, charismatiques, emplis de folie douce. Ainsi l'Amiral, Majnoune le fou des lieux, Izem le héros, Titoh, Khalti Zahra ou Yamina peuplent ces pages portées par une tendresse prégnante... Mais surtout, et pour longtemps, notre esprit. »

Voilà un recueil de nouvelles liées par le fil conducteur d’un lieu et de personnages colorés avec leurs rêves et leurs peurs ancestrales.


Avec « Zountar a rêvé », Omar Arhab trace avec humour, un sourire complice avec nos angoisses existentielles.

Marie Cardinal

Marie Cardinal
1928-2001
Deux romans, entre autres, ont consacré cette romancière d’origine algérienne : «La clé  sur la porte» en 1972 et «Les mots pour le dire», en 1975. Le premier a été adapté au cinéma par Yves Boisset.

Née à Alger le 9 mars 1929, Marie Cardinal a étudié la philosophie  d’abord à l’Université d’Alger, puis à la Sorbonne à Paris où elle a soutenu une thèse sur Philon d’Alexandrie. De 1950 à  1960, elle enseigne le français à Salonique, Lisbonne, Vienne et Montréal. Lectrice chez Gallimard et Grasset, journaliste, Marie Cardinal a obtenu en 1962, le Prix international du premier roman pour «Écoutez la mer» et, en 1976, le Prix Lettré pour «Les mots pour le dire». Après Albert Camus, Marie Cardinal, profondément enraciné dans son temps, a parlé avec émoi de son pays natal.

L’écrivain a joué dans Mouchette de Robert Bresson et dans Deux ou trois choses que je sais d’elle de Jean-Luc Godard. Décédée le 9 mai 2001 des suites d’une longue maladie, à Avignon, Marie Cardinal laisse une œuvre riche, traduite en plusieurs langues.

Madame Diane Lemieux, ministre d’État à la Culture et aux Communications a rendu hommage à cette femme dont « l’œuvre a touché, fait réfléchir et souvent même fait avancer notre société (…. Elle a exploré l’âme humaine dans ses dimensions les plus intimes et, à travers sa propre expérience de la vie avec « les mots pour le dire », elle nous a révélé à nous-mêmes comme peu d’autres avant elle avaient su le faire. » 

Pour aller plus loin :


Marie Cardinal, La mort pour le dire, Claire Devarrieux in Libération du 10 mai 2001.