jeudi 23 novembre 2017

Des écrivains de la diaspora algérienne au Salon du livre de Montréal

Salah Beddiari
La 40e édition du Salon du livre de Montréal bat son plein. Avec  plus de 2 000 auteurs et un millier de maisons d’édition, ce rendez-vous incontournable de l’automne montréalais est aussi l’occasion pour donner de la visibilité aux auteurs de la diversité québécoise.

Les visiteurs pourront croiser  au moins trois ouvrages écrits par des auteurs de la diaspora algérienne du Québec et du Canada. Ils sont un peu plus d’une vingtaine selon différentes sources.

Adel, l’apprenti migrateur (Les éditions Mémoire d’encrier) de Salah Beddiari est un récit qui interroge les profondeurs de l’implantation dans une nouvelle terre. « Arabe et musulman, Adel s’installe au Québec. Enthousiaste, ouvert et amoureux, il désire faire sa place dans la société malgré́ les nombreux obstacles rencontrés. La philosophie et la poésie l’accompagnent dans sa quête. Comment devient-on citoyen? Doit-on effacer les traces de son parcours? L’amour sauvera-t-il Adel? ».

L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs (Les éditions XYZ) de Aziz Farès explore la relation entre l’islam et le Québec  actuel.  Il « essaie de comprendre les raisons qui ont fait basculer la société québécoise dans l'affrontement avec l'Islam. »  Aziz Farès,  qui produit Au cœur du monde, une émission sur  Radio VM (Montréal) convie les lecteurs « à une longue réflexion sur l’Islam, sur l’islamisme, et sur leurs implications au Québec ».

Le roman L’otage de Salah Chekirou  (Les éditions Belle feuille)  « est l’histoire d’une jeune infirmière Québécoise qui s’extirpe difficilement d’une grosse dépression suite à une douloureuse rupture avec l’amour de sa vie ». Au début des années 1990, aux balbutiements de la révolution internet, elle rencontre sur le web un jeune Algérien qu’elle ira rejoindre en Algérie.  C’est la décennie noire.  Elle sera otage dans les maquis islamistes.

Espace de la diversité

 A l’occasion du salon, les éditions Mémoire d’encrier ont lancé l’événement  Refonder les histoires. Les écrivains disent non au racisme!  pour « combattre le racisme et l’exclusion par le biais du livre et de la littérature ».

« Une cinquantaine d’auteurs représentant une diversité d’horizons et de parcours, du Québec, du Canada et d’autres pays » animeront des tables rondes et des discussions autour de questions fondamentales.

« Quelles histoires doit-on se raconter ? Quelles histoires sommes-nous en mesure d’entendre ? Pour avancer, il faut laisser de la place aux autres et à leur imaginaire, à d’autres façons de vivre et de créer la littérature » sont les questions lancées par les organisateurs.

La première édition du Salon du livre de Montréal a été lancée en 1978 une évolution de La  journée du livre qui remonte à 1950. En 2016, le salon du livre de Montréal a enregistré 115 000 visiteurs.

S. Ben, El-Watan du 19 novembre 2017


© El Watan

dimanche 13 août 2017

L'Otage de Salah Chekirou


Salah Chekirou dédicaçant son dernier roman
Avec L’Otage, Salah Chekirou signe un nouveau roman où l’on retrouve sa passion journalistique pour l’enquête, l’actualité et le contexte historique. Il a été présenté le samedi 11 mars de cette année à la célèbre librairie Olivieri, à Côte-des-Neiges, pour en faire la présentation et la promotion.

L’Otage est l’histoire d’une jeune infirmière québécoise qui sort difficilement d’une grosse dépression suite à une douloureuse rupture amoureuse. Suzanne Planturier, c’est d’elle qu’il s’agit, intègre le service des soins palliatifs d’un grand hôpital montréalais, pensant qu’en côtoyant les malheurs de ceux que la vie n’a pas choyé, elle se remettra sur ses pieds. C’est auprès de ses patients en tout cas, qu’elle s’ouvre sur le monde. 

Nous sommes au début des années quatre-vingt-dix. C‘est la période de la guerre civile en Algérie. On en parle dans les médias. Et Suzanne rencontre une jeune victime de cette tragédie. Pourquoi et comment va-t-elle se retrouver ensuite en Algérie où elle sera enlevée et séquestrée pendant vingt-cinq longs mois dans un maquis terroriste ? Comment sera-t-elle libérée ? Comment retournera-t-elle au Québec ? Et quelle sera la suite de sa vie ? Les réponses sont dans ce roman de près de 500 pages; un roman dont les titres des chapitres rappellent l’écriture du scénario. L’intrigue me semble bien traitée et ce va-et-vient entre l’Algérie et le Québec est intéressant puisqu’il ajoute à l’intensité du récit et motive le lecteur pour connaître l’issue. Salah Chekirou m’a confié à ce propos que des lectrices québécoises après avoir lu le livre sont venues lui demander les coordonnées de Suzanne Planturier croyant qu’il s’agissait d’une personne réelle ! 

Le roman a été écrit en 2014. Et ce n’est qu'en 2017 qu’il paraît. Les aléas de l’édition ! L’éditeur était présent à la sympathique manifestation de promotion du livre, à la librairie Olivieri pour souligner son soutien au travail de Salah Chekirou.

C’est Idir Sadou, journaliste et homme de culture, qui a présenté l’auteur de L’Otage en retenant l’essentiel de son parcours. Ayant touché un peu à tous les métiers de l’écrit, journalisme, édition, scénarisation - puisqu’il a collaboré à l’écriture de scénarios pour la télévision -, Salah Chekirou nous offre un nouveau roman inspiré de son immigration au Québec. Arrivé au pays de l’érable un certain jour du mois de juillet 2008, il a dû faire comme tout un chacun l’apprentissage de l’adaptation. Mais, très vite, une fois installé et une certaine sécurité assurée, il se remet à écrire comme il l’a fait à Alger, avec discipline et régularité.

À Alger, Salah Chekirou a dirigé le journal de la jeunesse L’Unité avant de rejoindre l’ANEP, l’Agence nationale de  publicité. Il a été l’un des fondateurs du Salon international du livre de la capitale algérienne. C’est dire qu’il a toujours baigné dans le monde de l’édition. Il est l’auteur de romans qui collent à l’actualité. Il publie en France, en Algérie, en Égypte, au Liban et au Maroc. Parmi les titres déjà publiés, des succès de librairie tel que Le grain de sable traitant de l’assassinat du président algérien Mohamed Boudiaf abattu en 1992 en direct devant les caméras de la télévision, Le Tycoon et l’empire des sables stoppé dans son envol des ventes pendant sa première semaine, ramassé et détruit par la censure.

M. B. 

Pour aller plus loin :

L’otage, roman de Salah Chekirou : retour sur une décennie tragique, par Kamel Bouslama, El-Moudjahid, 09-08-2017.

L'Otage, de Salah Chekirou,
Editions «Belle Feuille»,
Montréal, 466 pages

lundi 26 juin 2017

Karim Akouche : La religion de ma mère

Page de couverture
Dans ce roman étourdissant, la partition est accompagnée d’une musique rythmée et tournoyante comme au son des tambourins.Les sens en éveil, on entend alors chanter les mots. Et on n’écoute d’autre prédicateur que le temps, la mémoire et la terre.

La religion de ma mère est une composition littéraire tumultueuse.Cela évoque le bouillonnement d’une source, ou encore un torrent impétueux et rapide.Karim Akouche a un style d’écriture clair, pur, avec des mots simples et concrets.

Un style rythmé, incisif.Les phrases (et même les chapitres) sont courtes et concises.Quant à la prose de l’auteur, elle est vigoureuse, souple, mesurée, impulsée par une rythmique proche de la poésie.Cette richesse reflète la sensibilité particulière de l’écrivain à l’égard du langage.C’est surtout sa manière d’exprimer sa pensée, des émotions, des images, des idées...L’art étant le Je, Karim Akouche a le don de libérer sa créativité : il laisse libre cours à son tempérament personnel et s’exprime avec sa propre voix. Dans La religion de ma mère, il fait naturellement jaillir les pluies de printemps (les mots) et il fait parler la voix du cœur.

Le roman est très agréable à lire.Esthétiquement, il est même une réussite, tant l’auteur sait construire un langage dans le langage, humaniser son texte et écrire très lisible.Karim Akouche confirme qu’il ne manque pas de punch.
Et pour mieux dire les mystères de la vie et faire réfléchir sur l’énigme de l’homme et du monde, quoi de mieux qu’une œuvre romanesque percutante ?De l’amour, de la tendresse, de la violence, de la folie... Le tout subtilement canalisé.Il y a notamment le recours (retour) à l’enfance, ce qui permet à la mémoire d’affluer, de restituer des visages, des lieux, des odeurs... «L’enfance est un conte qui ne dure pas.La nuit, on le lit.Le jour, il se dissipe.Au crépuscule, il devient cendre et poussière», fait remarquer le narrateur.Le personnage central du récit a cet autre aphorisme : «La mort est un bateau ivre que tout le monde prendra.» Le lecteur a tout de suite une mine de chat devant un bol de lait.Son imagination s’emballe : et qui sont les passagers les plus importants du voyage, au cours de cette immersion houleuse dans une mer mémorielle ?Le lecteur commence à laper avec le sérieux de l’enfant qui joue. «Au pays de ma mère, tous les jours on est poète», rappelle le narrateur.Promesse que le roman sera un grand poème : «Maintenant que ma mère s’est tue, je fais le serment de graver sur sa tombe le plus beau de ses poèmes.» Bel hommage à celle qui disait des poèmes sans n’avoir jamais mis les pieds à l’école. Et toujours ces phrases courtes, actives : «Ma mère était une montagnarde.Elle façonnait l’argile.Elle en faisait des poteries.Je n’ai pas peur pour elle.Elle ne souffrira pas dans sa tombe.Elle est retournée à la terre qu’elle aimait tant.»

Karim Akouche cherche des émotions.Il est à l’écoute de ses sentiments, de ses inclinations altruistes.Mais il est aussi de tempérament artiste.Créateur d’images sonores, il aime par-dessus tout jouer avec le sens des mots.Il a le don de zigzaguer mentalement d’un domaine à un autre, de jongler avec la polysémie «subversive», les formules imagées et les figures de rhétorique innocentes mine de rien (analogies, métaphores, tropes...). Tout cela contribue à colorer et à «électriser» le texte, à mettre l’imagination du lecteur sur orbite. Exemple : «Les puits de pétrole fument dans le désert.Ils veillent sur la paix sociale.L’élite est éblouie par l’argent.Les commis de l’État sont dévorés par l’ambition.La jeunesse est bipolaire.Elle veut le voile et la nudité.Elle veut la cage et la liberté.Parfois elle est kebab, parfois elle est fast-food.Tantôt elle est Europe, tantôt elle est Orient.Roule, frangin ! Écrase la pédale !» La vie moderne, à l’algérienne.

Le lecteur a un peu le tournis.Il s’accroche.Il finit par s’accorder au rythme des mots.Ses sens sont éveillés, stimulés par le ton et la petite musique qui font un bon livre.La quatrième page de couverture donne déjà une vue d’ensemble qui fait ressortir le sens profond, la philosophie du roman. Voici ce résumé : «Exilé à Montréal, Mirak apprend la mort de sa mère qu’il n’a pas revue depuis longtemps et rentre en Algérie pour l’enterrement.Il traverse une dépossession au fur et à mesure qu’il croise les lieux et les visages de son enfance dans un pays méconnaissable où règnent l’absurde et le chaos.À travers la quête désespérée d’un passé révolu et la découverte d’un présent violent, le narrateur brosse l’émouvant portrait de sa mère et le confronte à l’égarement de son peuple.Alternant monologue et récit, Mirak interroge l’identité d’une nation fragmentée qui peine à se remettre d’une longue crise politique.La religion de ma mère est le roman de la désintégration de l’être humain.Après la disparition de sa mère, Mirak se décompose, son père devient fou, son frère se transforme en djihadiste... On se croirait dans un asile d’aliénés à ciel ouvert. Ce roman exprime on ne peut mieux la folie et la confusion de notre époque.»

Une allégorie de l’Algérie contemporaine.«Les mots s’enfuient comme des balles perdues.Ils s’éteignent dans le brouillard de ma tête», soliloquait le narrateur.Mirak (Karim ?) semble égaré, perdu dans le froid et la brume élégiaque de l’Occident.L’exilé est de retour dans son pays, mais personne ne le reconnaît plus... «Je suis incertain.Je flotte.Je viens d’un peuple mystérieux.Il refuse de mourir.Il vivote comme les oiseaux de passage.Il résiste aux tourbillons des légendes.L’histoire n’est pas l’alliée des vaincus.Elle est la concubine des puissants.» Oui, le monde ment et il n’est pas sérieux, nous dit Karim Akouche : «Il est ovale comme une pastèque pourrie.Telle une mouche, je vrombis autour.» A son tour, le lecteur est entraîné dans le tourbillon des mots.Il est rempli d’un singulier vertige...


Hocine Tamou, Le Soir d’Algérie, 17 juin 2017